Je me rappelle et je pleure. C'était il y a déjà quelques années, nous étions réunis tous. Au grand complet. Je n'aurais jamais pensé que ce fut la dernière fois. Ma sœur était là. Accompagnée de son fiancé, elle arborait un sourire fier. Mes parents, main dans la main, se lovant du regard. Il y avait Julien aussi, mon ami d'enfance. Julien... Son beau sourire, ses belles prunelles bleues rondes, ses cheveux blonds. Mes larmes coulent encore... Marion me tenant par les épaules en me chantant cette douce mélodie. Je l'entends encore. "Joyeux anniversaire, Camille. Joyeux anniversaire". Ma tante qui se mêlait au chant, inventant une danse dont je n'ai aucun souvenir.
C'était la dernière fois. Pour mon anniversaire.

Ce n'était pas ma faute, mais je ne peux m'empêcher... tous ceux que j'aimais plus que tout sont mort, ou c'est tout comme. La denier moment joyeux que nous avions passé tous ensembles... je m'en rappelle comme si c'était hier et ces images défilent sans cesse sur ma rétine... Peu après ma mère était morte. C'était la fin. Comme si nous n'avions plus jamais sourit depuis. Puis, ensuite, tous y sont passés et j'en venais à penser que c'est de ma faute, que je suis maudite.
Maintenant j'ai un but, un but suprême : les rejoindre. Je n'ai jamais courageuse, mais là je le veux plus que tout, plus que ma vie, c'est eux et seulement eux et pour ça je suis prête à tout... même à mourir.

Je suis prête à tout. A tout ? Vraiment ? Je ne suis pas courageuse, je tremble comme une feuille et j'ai peur. Mais pourtant, je semble sure de moi. Que fais-je ? Hurle une petite voix dans ma tête. Tandis qu'une autre presse ma main sur ce couteau. Mes larmes doublent d'intensité, je pleure. Sans retenue. Je m'épuise vite mais je pleure toujours autant. Je n'ai peur de rien, j'essaie de m'en convaincre. C'est dur.
Je me remémore les souvenirs, je me remémore que je suis seule. Qu'ils m'ont abandonnés. J'ai envie de hurler mais je me retiens. Un but... Un but suprême... Oui, oui. Mais je tremble. Mes muscles fléchissent. Je n'arrive pas à me décider. Les rejoindre ou les abandonner comme ils m'ont abandonné ? Les abandonner comme ils m'ont abandonné ou les rejoindre ...

Je veux vivre et en même temps mourir. Je veux les rejoindre et en même temps rester ici et vivre. Mais la vie vaut-elle vraiment la peine d'être vécu quand vous avez perdu tout ce qui vous tenait à cœur ? Moi je ne pense pas... mais c'est si dure de sauter le pas. Quand on voit dans les films les gens se taillader les veines, on se dit que c'est facile, une demi-minute et c'est finit, mais ce n'est pas du tout ça. C'est beaucoup plus compliqué et complexe, car il faut peser le pour et le contre... Est-ce qu'on manquera à quelqu'un ? Moi je sais que non... Mais est-ce que je serais prête à le faire pourtant ? Je ne sais pas... et c'est cette indécision qui me fait peur.

Que fais-je ? Hurle à nouveau une voix dans ma tête. Je m'insulte, je me regarde dans le miroir et me presse ma main sur ce couteau. Pourtant, je ne devrais pas. Vivre ou mourir ? Mourir ou vivre ? A qui vais-je manquer ? Non, personne. Je ne suis pas assez courageuse, j'ai peur. Mais c'est la meilleure chose à faire, c'est ce que je me dis. Je tente de me convaincre. En vain.. Je n'y arrive pas, je n'y arriverais jamais. Stupide, indécise. Je suis lâche et pathétique. Je grogne, je pleure toujours autant.

... Mais si je les rejoint, si j'ose seulement, comment réagiront-ils ? Seront-ils heureux de me voir et fiers d'avoir eu le courage pour faire ce qui était nécessaire ? Ou me trouveront-ils lâche et égoïste d'avoir laissé passé cette chance, ce douloureux et bienheureux péché de vie ?... J'hésite à nouveau, une lueur indécise hante mon regard. Je détournes subitement le regard de ce miroir. Regarder en face, voir ce reflet honni de celle qui vit encore et pour finir s'en détourner, c'est comme refuser d'être ce que l'on est. Me voient-ils ? M'entendent-ils ? Savent-ils que je ne vis que pour eux, que pour leur souvenir, que pour les revoir, les toucher à nouveau ?... Savent-ils que je suis incapable de me tuer ?
Le couteau me glisse des mains. J'ai les doigts engourdis et l'orage rugit sous mon crâne. Qu'ai-je fait ? Que vais-je faire ? Il me semble qu'une éternité vient de passer, que le temps file à chaque battement de cil, chaque battement de cœur un peu plus déchirant. Cette plaie ne guérira jamais. Je le sens bien. Et pourtant je m'enfonces délibérément dans cette brume de pensées et de questions... Alors qu'il serait si simple de glisser la lame dans ma chair, sans bruit, sans mal. Comment puis-je vivre en sachant que rien ne me rattache à cette vie ? Comment ai-je pu même envisager de mettre fin à mes jours quand ma famille n'est plus là ? Qu'est-ce que le monde m'a offert à moi, sinon le chagrin ?
Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi?...

Le couteau gis au sol, mon bras toujours en l'air. Bras que je fixe durement. Je n'arrive pas à vivre en imaginant qu'ils sont partis. Je n'arrive pas à me faire à cette vie monotone. J'ai mal. Mon cœur tambourine, ma tête va exploser. Comment ais-je pu penser que tout serait aussi simple ? Comment ais-je pu imaginer que j'y arriverais du premier coup, sans réflexion ? Je suis stupide au point de croire qu'il suffit d'un couteau, qu'il suffit d'un coup et on marche dans le Grand Couloir. Je suis bercée d'illusions. Peut-être, veux-je mourir sans mourir. Peut-être tiens-je à la vie plus que ce que je veux laisser croire ? Finalement, peut-être que j'ai envie de vivre. Peut-être que je perds la tête. Je me laisse tomber au sol, à côté du couteau. Je prends ma tête dans mes mains. Je souffre du manque de mes proches, certes. Mais es-ce une raison pour vouloir m'ôter la vie ? M'ôter ce que ma mère m'a donné de plus cher ? En es-ce réellement une...

Brusquement, un bruit retentit sur ma droite, me coupant dans mes pensée. Je tourne la tête mais ne voit rien. Les yeux écarquillés je regarde le vide autours de moi : il n'y a personne, puis ma salle de bain délabrée. Des médicaments en tout genre trainent n'importe où et mes serviettes gisent dans la douche et sur le sol. Puis je remarque que le couteau a cogné le miroir, l'abimant au passage, et à finit sa course dans l'évier dans l'évier. Ensuite mon regard se dirige sur mon poing qui est serré et couvert de sang.

Sang. Souvenirs de sang. Ce sang qui coule dans mes veines, jadis il le faisait aussi dans le reste de ma famille... Et ce miroir brisé ne signifie-t-il pas que je refuse, inconsciemment, d'être ce que je suis ? Et de mourir ?
Sans m'en rendre compte, tous les gestes familiers et machinaux me revenant, je me lève et marche, marche vers quoi ?... Vers la porte de le salle de bains. Ma main la pousse, elle s'ouvre, je passe dans le couloir, si vide, vide comme moi. La pénombre règne en tyran sur la maison et sur mon cœur, cœur qui pèse si lourd dans mon être, me tirant vers le sol. Je sais à peine ce que je fais.

" Des mains me relèvent, me secouent. Elles tâtent mon pouls, de leurs doigts maladroits, fébriles. J'entends un souffle rapide. Je décolle du sol. Mes paupières sont si lourdes. J'aimerais les ouvrir mais elles sont de plomb. Juste pour voir son visage. J'abandonne très vite. C'est peine perdue. Je me rend compte de la douleur lancinante qui brouille mes idées. Un leitmotiv de fer chauffé à blanc glisse sous mon crâne. Je ne sais où on m'emporte.
Je ne veux pas... Je ne veux pas ça... Je ne voulais pas ! "